Témoignage de Cécile, borderline

2 Oct 2022 | Actualités, Articles pour les professionnels de santé, Témoignages

Un grand merci à Cécile, borderline, qui témoigne de son vécu avec une touchante simplicité.

Nous espérons que ce témoignage permettra à d’autres, notamment des proches de personnes TPL Borderline, de mieux comprendre ces personnes.

Ce témoignage a déjà été publié dans la Revue du praticien, volume 72, septembre 2022, destinée au milieu médical.
Il est suivi du commentaire du Dr Mario Spéranza, pédopsychiatre et Secrétaire de l’association Connexions Familiales.

 Je m’appelle Cécile, j’ai 35 ans, j’ai été diagnostiquée Borderline à 26 ans.

 

Je suis née au Chili, j’ai été placée en orphelinat au décès de ma mère à ma naissance, puis adoptée à 6 mois par une maman venue de France. Cette deuxième maman est, elle aussi, décédée, d’un trouble au cœur, j’avais alors 3 ans. Et puis, une troisième maman est arrivée ! Ces traumatismes de l’enfance m’ont beaucoup marquée, et je sais que mes comportements désordonnés proviennent de là.

 

Depuis toute petite, ma vie émotionnelle a été un vrai chaos. A l’école, je ne savais jamais me concentrer. Avec les maitresses et les professeurs, j’avais un besoin énorme d’être reconnue, un mot gentil, un encouragement, une caresse sur la tête, et la moindre moquerie d’un camarade pouvait me faire pleurer.

Puis, en grandissant, je me suis endurcie. D’hypersensible, je suis devenue une vraie caïd. Je méprisais les filles douées en classe, j’en arrivais à leur faire peur. Je bravais les interdits, les rappels à l’ordre des autorités ne m’impressionnaient pas.

En 4ème, les premières cigarettes, puis, les joints, l’alcool. Mes sautes d’humeur étaient rapides et intenses, je pouvais passer une journée joyeuse en famille, et m’alcooliser le soir jusqu’au coma. Les addictions étaient des béquilles qui me faisaient tenir. Sans elles, j’étais comme morte à l’intérieur, je ressentais un grand vide. J’étais, très impulsive, agressive, violente même.

 

J’ai fait plusieurs tentatives de suicides. J’ai peu travaillé, même si j’ai eu de belles expériences dans l’aide aux personnes, handicapées, ou en EHPAD. J’étais très appréciée au début, mais à cause de mon impulsivité, cela finissait mal, la moindre remarque d’un patron me remplissait d’une rage incontrôlable, je l’insultais, je claquais la porte et ne revenais pas.

Achats compulsifs, fugues sans donner de nouvelles, indifférence totale à l’angoisse que je provoquais chez mes parents. Il n’y a que l’alcool qui apaisait mon mal-être, et sous son emprise, je criais à l’abandon, ce gouffre dans mon cœur.

J’ai été hospitalisée souvent en psychiatrie, et j’ai vécu aussi des périodes de plusieurs mois dans des communautés de vie, chrétiennes notamment, mais au fil des semaines je transgressais les règles, je fuguais et me retrouvais aux urgences, ou en cures de désintoxication.

 

Aujourd’hui, cela va mieux, je suis accompagnée par une psychologue spécialisée dans l’accompagnement de femmes alcooliques. La thérapie m’aide à maîtriser mes émotions, à faire redescendre mes colères avant qu’elles n’explosent.

On pratique l’EMDR, cela m’aide beaucoup, même si cela remue des souffrances. Aujourd’hui, je suis en hospitalisation de nuit dans le sud, je vais mieux, je fais une formation pour être médiateur-pair aidant, pour accompagner un jour des personnes souffrant d’une maladie psychiatrique.

Je voudrais pouvoir les aider, car ce qui m’habite, c’est que nous ne sommes pas responsables de notre maladie psychiatrique, nous sommes responsables de notre rétablissement.

 


 

Commentaire de Mario Spéranza, pédopsychiatre et Secrétaire de Connexions Familiales

Le trouble de la personnalité borderline (TPB), ou trouble limite, est un trouble de la personnalité caractérisé par une instabilité marquée des émotions, des relations interpersonnelles et de l’image de soi associée à une impulsivité majeure et à de nombreux comportements problématiques : accès de colère, automutilations, tentatives de suicide, prises de risque multiples.
Cette multitude de symptômes, qui se manifestent dans des registres très différents, trouve sa cohérence autour d’une sensibilité particulière, que présentent les personnes TPB, à toutes les manifestations d’abandon, de rejet ou de non-­reconnaissance qu’elles perçoivent dans les relations interpersonnelles. Le psychiatre américain John Gunderson, l’un des pionniers du domaine des TPB, a proposé de qualifier ce fonctionnement particulier par le terme d’hypersensibilité interpersonnelle.
Comme le décrit d’une manière très touchante Cécile dans son récit, cette crainte de l’abandon et cette syntonisation permanente sur tous les signaux de rejet de la part de l’entourage génèrent des émotions très intenses et douloureuses que les personnes TPB ne savent pas réguler et essayent de gérer par tous les moyens.
Les consommations de substances (médicaments, drogues, alcool…), les mises en danger sexuelles, les comportements suicidaires peuvent alors être compris comme des stratégies de survie pour juguler la détresse extrême qu’elles vivent dans les relations avec les autres. Comme l’écrit Cécile, « les addictions étaient des béquilles qui me faisaient tenir. Sans elles, j’étais comme morte à l’intérieur, je ressentais un grand vide ». Ces solutions désespérées, efficaces sur le moment pour réduire l’angoisse, deviennent rapidement des problèmes en eux­-mêmes qui s’autonomisent, fragilisent encore plus l’identité de la personne et participent à construire une trajectoire de vie très négative.
Le parcours de Cécile témoigne de la difficulté à garder un emploi, malgré ses capacités, du fait de son impulsivité et de ses difficultés à réguler ses émotions.
C’est souvent à l’occasion de situations secondaires (symptômes anxiodépressifs, abus de substances, crises de violence) ou lors de passages à l’acte suicidaire que les personnes avec un TPB rencontrent les professionnels de la santé mentale qui prennent en charge en urgence ces comorbidités aiguës sans arriver  immédiatement à les relier à l’hypersensibilité sous­-jacente qui en est l’origine. Les hospitalisations prolongées comme les multiples traitements pharmacologiques que re­çoivent les personnes TPB n’ont pas démontré d’utilité pour modifier leur trajectoire de vie, contrairement aux approches psychothérapiques qui ciblent l’hypersensibilité interpersonnelle et visent à améliorer les compétences de régulation émotionnelle (voir à ce sujet l’article de David Gourion publié récemment dans La Revue du Praticien-médecine générale : Gourion D. Les personnalités borderline en médecine générale. Rev Prat­MG 2022;36[1064]:89­90).
Cette hypersensibilité interpersonnelle est probablement le résultat d’une interaction complexe entre une vulnérabilité biologique/géné­tique (certains traits pathologiques tels que l’impulsivité ou la labilité affective) et un environnement défavorable caractérisé par des traumatismes multiples : indisponibilité émotionnelle ou physique des figures de soins primaires, séparations pré­coces et prolongées, contexte de négligence ou de maltraitance physique ou sexuelle. Cécile a vécu un placement en orphelinat à la naissance, le décès à 3 ans de « sa deuxième maman » qui l’avait adoptée à 6 mois, avant de rencontrer une « troisième maman ».
Même dans des environnements relativement classiques, la présence, dès la petite enfance, d’une telle hypersensibilité relationnelle rend très difficile pour l’entourage l’adaptation aux besoins spécifiques de l’enfant, avec des réponses qui peuvent être vécues comme invalidantes et auxquelles l’enfant réagit en retour avec agressivité. Une spirale d’incompréhension réciproque et de souffrance chargée de reproches s’installe alors dans le temps et cristallise le fonctionnement personnel autant que familial. On comprend comment cette spirale peut se mettre en place en lisant la description d’une « journée ordinaire » que fait Cécile qui « pouvait passer une journée joyeuse en famille et s’alcooliser le soir jusqu’au coma ».
Pour cette raison, l’une des composantes essentielles intégrée dans toute prise en charge pertinente est la psychoéducation de la personne TPB comme de son entourage. Une meilleure connaissance des critères diagnostiques, des facteurs étiologiques à l’origine des difficultés, des risques de comorbidités et de l’évolution favorable à long terme permet un meilleur engagement dans les soins.
En particulier, l’explicitation du modèle de l’hypersensibilité interpersonnelle comme élément central de la vulnérabilité des TPB donne aux patients, comme à leur entourage, l’opportunité d’avoir une compréhension unifiée des fluctuations de leurs états affectifs, comportementaux et relationnels dont ils font l’expérience au quotidien, compréhension indispensable pour développer des stratégies plus adaptées. Des associations comme Connexions Familiales sont spécifiquement développées pour apporter cette né­cessaire compréhension aux proches des personnes TPB.
Les interventions ayant fait la preuve de leur efficacité dans les TPB sont toutes caractérisées par une approche structurée qui implique le patient dans la définition d’objectifs de travail précis. Ces derniers incluent la gestion du risque, la prise en compte des comorbidités, la régulation des émotions.
La prise en charge est assurée par un thérapeute, qui adopte une posture active et empathique et engage le patient et son entourage dans un travail autour des liens entre émotions et comportements mais garde un focus toujours présent sur la vie et le fonctionnement social en dehors du traitement, avec pour but final de construire une vie qui vaille la peine d’être vécue.
Le parcours de Cécile témoigne qu’un rétablissement est possible et que le savoir expérientiel acquis peut être partagé avec d’autres personnes vivant avec une maladie psychiatrique.

Reproduction de l’article, avec l’aimable autorisation de la Revue du praticien

Témoignage Borderline Cécile (Revue du praticien 72 2022-09)