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Chercher la solution au coeur du problème : faire face à l’intentionnalité des personnes souffrant d’un trouble de personnalité limite (TPL)

12 Juil 2019 | Articles pour les professionnels de santé

Article de la revue Santé mentale au Québec, Volume 29, Numéro 2, Automne 2004, p. 221–240, écrit par :

  • Isabelle Parent
    Ergothérapeute, M.Sc. au Centre de santé Orléans, Beauport, Québec.
  • Monique Carrière
    Ph.D., professeure agrégée au département de réadaptation de la Faculté de médecine de l’Université Laval, Ste-Foy, Québec.

Le Trouble de Personnalité Limite (TPL) affecte dramatiquement un grand nombre de personnes et représente un défi de taille pour les cliniciens. Dans cet essai, les concepts d’intentionnalité et de projet de vie sont examinés et exploités en vue d’aider les personnes souffrant d’un TPL à donner un sens à leur vie et à développer leur pouvoir d’agir de manière cohérente. Autrement dit, il est question de mieux outiller les intervenants pour accompagner ces personnes dans leur processus de rétablissement.

La personne souffrant d’un TPL : déroutée et déroutante

Une perte de sens dramatique

Le TPL est l’une des problématiques psychiatriques les plus courantes en Amérique du Nord et est caractérisé par des taux de morbidité et de mortalité importants. Une prédominance de 75 % est observée chez la femme (Renaud, 1999 ; Jacobson et Curtis, 2000). Ces femmes en souffrent dans les années potentiellement les plus productives de leur vie, soit entre 18 et 40 ans (American Psychiatric Association, 1994), ce qui affecte grandement l’élaboration et la réalisation de leur projet de vie.

À première vue, ces personnes semblent fonctionnelles dans leur quotidien. Pourtant, il s’agit d’une pseudo-compétence car plusieurs domaines occupationnels (productivité, loisirs, interactions sociales, activités de la vie quotidienne et domestiques) sont en réalité perturbés. En effet, une inadéquation des actions dans le contexte ou par rapport aux événements contingents est observée, de même qu’une incohérence avec l’objectif poursuivi, ce qui entraîne un comportement qu’on pourrait qualifier d’erratique. Le traitement de l’information est souvent déficitaire en raison des distorsions de la réalité (Paris, 1996) et de la difficulté, voire de l’incapacité à mentaliser, c’est-à-dire à prendre en compte ses propres états mentaux (expériences perceptuelles, mémoire, croyances, intentionnalité et désirs) et ceux des autres (Fonagy, 1991). Cette incapacité à discerner et à anticiper ses comportements et ceux des autres va de pair avec la non-reconnaissance des conditions de l’action et de ses conséquences. Ces distorsions, qu’elles soient d’origine développementale ou relationnelle, peuvent expliquer le constat de Dawson (1988) à l’effet que la personne souffrant d’un TPL n’arrive pas à se définir comme étant compétente, responsable ou ayant une valeur au sein de la société. Ainsi, cette difficulté à se situer conjuguée à un sentiment chronique de vide, à une instabilité affective, à une imprévisibilité et à un soi instable, contribuent à exacerber chez la personne, cette perte de sens de sa propre existence. Cette combinaison de problèmes se manifeste, entre autres, par de multiples gestes suicidaires et par une difficulté majeure de maintenir à long terme des engagements dans ses relations interpersonnelles ainsi que son implication à l’école, au travail et dans son traitement. Conséquemment, il est difficile de poursuivre et de réaliser un simple projet et, donc, un projet de vie.

À ce sujet, les propos de Frankl (1970) apparaissent encore très actuels à savoir que cette absence de sens de sa propre existence entraîne une véritable frustration existentielle car la volonté de sens est enracinée profondément en l’homme. En effet, le but ultime de la vie humaine est de trouver un sens et un ordre à la vie individuelle et à la vie collective et c’est cette recherche de signification, plus que toute autre quête (recherche de plaisir, de puissance, de réalisation de soi-même), qui amène l’homme à se dépasser. De nos jours, l’homme ne souffre donc pas tant du sentiment d’être moins valable qu’un autre, mais bien plutôt du sentiment que sa propre existence n’a pas de sens. Plus récemment et dans la foulée du mouvement de désinstitutionnalisation, certains auteurs (Anthony, 1993 ; Provencher, 2002) affirment que le développement d’un nouveau sens et d’un nouveau but est lié à la réappropriation du pouvoir d’une personne et à son rétablissement.

L’intervention : un défi de taille

Les écrits abondent d’observations sur les difficultés thérapeutiques avec cette clientèle (Paris, 1996). Pour les cliniciens, les personnes affectées d’un TPL sont souvent les plus ardues à traiter parce qu’elles jonglent régulièrement avec le suicide, sont impulsives et oscillent entre deux attitudes extrêmes face au thérapeute, les confrontant dans leurs positions existentielle, philosophique et éthique (Cousineau, 1996). Selon lui, l’intervention est une entreprise exigeante et même frustrante en raison des nombreuses stratégies dysfonctionnelles de cette clientèle, spécialement au plan interpersonnel.

L’impact dévastateur du TPL sur la vie et le fonctionnement d’un individu, de même que les difficultés relationnelles avec lui, amènent les intervenants à se questionner sur la meilleure façon d’agir. En effet, le respect de l’autonomie de la personne tout comme sa prise en charge comportent chacun leur part d’avantages et d’inconvénients. Ainsi, bien que leur discours prône des valeurs de respect des choix de la personne et de l’importance de lui redonner du pouvoir sur sa vie, il demeure très difficile pour les intervenants d’accompagner une personne qui se sent perdue, démunie, incapable de choisir et de donner un sens à sa vie. Comment être un bon thérapeute et respecter les principes de primauté de la personne et d’empowerment lorsque la personne aidée ne sait pas ce qu’elle veut, exprime une grande détresse, un total égarement et manifeste un désir que sa souffrance soit prise en charge mais agit en faisant fi des moyens proposés pour lui venir en aide. Les approches cognitives (Young, 1990) et les approches cognitives-comportementales (Linehan, 1993) actuelles ne résolvent pas facilement cette désorientation bien que certains auteurs dont Linehan (1993) proposent le suivi d’une série d’étapes de traitement, l’établissement d’une relation saine et la construction d’un environnement prévisible, stable et non rejetant.

La rencontre réalisée avec les intervenants d’une clinique spécialisée pour TPL, dans le cadre de l’essai de maîtrise en santé communautaire, a fait ressortir certaines difficultés avec l’utilisation du concept de projet de vie. En effet, selon eux, la clientèle ressent de l’anxiété et de la résistance de même qu’une peur de l’échec et de la réussite. Ils observent aussi une conduite de mise en échec, des distorsions cognitives et une difficulté à se projeter dans le futur. De plus, les intervenants consultés déplorent la méconnaissance des préalables nécessaires à l’utilisation du projet de vie et soupçonnent l’absence des pré-requis essentiels chez cette clientèle. Il apparaît donc pertinent de faire le point et d’élaborer des outils thérapeutiques complémentaires permettant de dépasser les limites entourant le projet de vie. Autrement dit, les intervenants consultés souhaitent sortir du cercle vicieux qui les fait piétiner, eux et leurs clients, autour de cette absence de sens. Bullock et al. (2000) et Provencher (2002) vont dans le même sens et affirment qu’outre l’aspect fonctionnel, c’est le développement de sens et l’élaboration d’un projet de vie qui caractérisent le rétablissement.

Projet, projet de vie et intentionnalité

Les difficultés vécues par les intervenants et la clientèle au regard du projet de vie ont orienté la recension des écrits. Ce concept est polysémique et il traverse plusieurs champs : réadaptation psychiatrique, développement humain, philosophie, éducation, sciences de l’orientation, spiritualité (Anthony, 1993 ; Levinson, 1978 ; Monbourquette, 1999 ; Van Nest, 2000). Au-delà d’une certaine confusion entre le concept de projet et celui de projet de vie, plusieurs auteurs (Côté, 1998 ; Drolet, 1995 ; Goguelin et Krau, 1992 ; Lemaire, 1997) s’entendent pour dire que le projet de vie s’inscrit dans une perspective beaucoup plus large et plus globale que le simple projet. Ce dernier ne représente qu’une des étapes de réalisation du « grand » projet de vie, ce n’est qu’une idée plus ou moins élaborée, quelque chose que la personne se propose de réaliser parce qu’elle y trouve de la valorisation. C’est un projet très concret tel qu’avoir un boulot, de l’argent, des vacances, des loisirs, un conjoint, une famille, une maison (Lemaire, 1997). Le projet de vie, c’est d’abord l’intention de vivre (Lemaire, 1997). Ce n’est pas le fruit de la volonté, c’est plutôt la résultante d’une construction progressive à partir de l’intégration de son présent, de ses valeurs, de son histoire et de ses interactions avec l’environnement et, enfin, du sentiment de ce qui constitue son identité profonde (Van Neste, 2000).

Selon Tesolin (citée dans Côté, 1998), le projet de vie s’inscrit dans une démarche d’autonomie faisant se révéler son propre pouvoir et suscite un mouvement de créativité impliquant l’appropriation du passé, la conscience du présent et la capacité de se projeter dans le futur. Le projet de vie constitue donc une sorte de vision projective et réaliste. D’une part, il est une façon de se relier au monde, à la société environnante, et pour ce faire, il doit tenir compte de la réalité extérieure. En effet, aucun projet ne peut être envisagé sans référence à l’environnement où évolue la personne (Pemartin et Legres, 1988). D’autre part, le projet de vie doit tenir compte du soi de la personne, de ce qu’elle sent en elle, c’est-à-dire de ses capacités, ses limites, ses intérêts, ses aspirations. Le cheminement et l’adaptation de la personne sont donc importants.

Par ailleurs, le projet de vie constitue aussi un moyen sûr de se donner du pouvoir, une structure pour guider la prise de décision. Il contribue à donner un sens aux faits et gestes de chaque jour. Son absence peut entraîner anxiété et dévalorisation. Selon Monbourquette (1999), l’élaboration et la réalisation de son projet de vie augmentent l’estime de soi et la confiance en soi. Bien sûr il n’est pas obligatoire d’avoir un projet de vie et chacun y donne un sens différent. En réalité, plusieurs personnes sont des individus en projet, sans nécessairement avoir en tête un projet de vie parfaitement défini (Côté, 1998). Il s’agit d’un processus dynamique et continu qui mérite d’être soutenu.

Le projet de vie, pour prendre vie, nécessite donc une confrontation avec la réalité. Cela implique la reconnaissance des contraintes et une évaluation de la faisabilité. La personne se doit d’être consciente que l’atteinte de cet objectif exige que certaines conditions soient remplies et que certaines étapes soient franchies. Cette conception correspond à celle de Giddens (1987) montrant l’importance de la reconnaissance des conditions de l’action et la mobilisation ou la constitution des moyens appropriés pour agir. Le projet de vie implique une conduite active, une construction et une élaboration de plans d’action qui ne sont pas instantanées (Goguelin et Krau, 1992). Autrement dit, le projet de vie s’élabore en tenant compte de plusieurs dimensions (psychologiques, cognitives, environnementales). Le projet de vie exige aussi une décentration du moment présent, c’est-à-dire une obligation de quitter le présent pour qu’émerge cette nouvelle orientation vers le futur. Il conduit à évaluer comportements et attitudes, autrement dit à être réflexif au sens de Giddens. Le projet de vie est en effet associé à des conduites d’anticipation et correspond à une élaboration de la personne concernant son devenir. C’est une façon pour elle de reprendre pouvoir sur sa vie et son avenir, ne le subissant pas mais, au contraire, en le prévoyant et même en le provoquant. En ce sens, c’est une marque d’affirmation personnelle (Goguelin et Krau, 1992). Ainsi, élaborer et réaliser des projets, c’est se construire soi-même.

Compte tenu que le projet de vie émerge de la personne et de sa relation au monde, l’intentionnalité devient un fil conducteur à considérer. Dans le monde de la philosophie, l’intentionnalité caractérise la propriété essentielle de la conscience humaine d’être constamment en lien avec son environnement. Ainsi, la conscience humaine est de nature relationnelle. Elle est orientée vers des objets subjectivement significatifs et c’est à travers son action et ses interactions avec l’environnement que la personne construit et donne un sens à son existence. En effet, toute perception ou action de la personne reflète une intentionnalité traduisant sa façon personnelle de concevoir et d’organiser sa vie, sa façon de prendre position dans la vie (Drolet, 1995).

L’intentionnalité est donc le sens tacite donné à l’action à travers la relation avec l’environnement. Confrontée constamment à l’environnement et aux réalités extérieures changeantes, la véritable question est de savoir comment l’intentionnalité de la personne s’individualise et se maintient malgré ou grâce à ces conditions (Lemaire, 1997). L’exploration de l’intentionnalité, c’est la recherche de l’orientation authentique d’une personne, de son ou de ses projets véritables à un moment et dans un lieu donnés de sa vie. Cette exploration s’annonce essentielle dans le travail thérapeutique avec la personne atteinte d’un TPL puisque l’intentionnalité se retrouve au coeur même de la personne et représente le moteur de l’action. C’est aussi cette même intentionnalité qui explique le comportement observé et potentiel de la personne. On ne doit pas confondre l’intentionnalité avec les intentions. La simple intention est davantage l’expression d’un but conscient, d’un projet, alors que l’intentionnalité représente la dimension profonde qui sous-tend les intentions (Drolet, 1995).

L’intentionnalité est l’essence primaire tandis que l’intention peut être influencée par l’environnement et contrainte par le désir important de plaire aux autres, de répondre à certaines normes sociales ou encore aux attentes des autres. Il est d’ailleurs fréquent qu’il y ait conflit entre l’intention et l’intentionnalité (Drolet, 1995). Ce conflit a pour conséquences de ralentir ou de freiner le processus d’action de la personne, de créer un malaise, ou encore de provoquer un sentiment d’inauthenticité ou d’aliénation. Drolet (1995) donne un exemple mettant en évidence l’intentionnalité en tant que structure de sens et de direction. Il montre aussi que l’intentionnalité implique la personne entière dans son rapport subjectif avec l’ensemble de son environnement.

Une solution au coeur du problème : découvrir et mobiliser l’intentionnalité

À la lumière de ce qui précède, il apparaît qu’il faille explorer l’intentionnalité de la personne souffrant d’un TPL avant de passer à l’élaboration et à la réalisation d’un projet de vie. En effet, il est essentiel de faire ressortir ce qui appartient à la personne, ce qui la mobilise sans qu’elle le sache elle-même. Les intervenants risquent de faire une erreur fondamentale s’ils considèrent que le problème est de ne pas être engagé dans un projet ou de ne pas fonctionner. C’est la désorganisation qui saute alors aux yeux et l’intervention envisagée vise la correction du comportement plutôt que la recherche de sens. En considérant la personne souffrant d’un TPL comme une personne unique et comme l’acteur principal de sa vie, il est conséquent d’examiner son parcours antérieur et ses projets selon sa propre perspective, selon son intentionnalité.

Développer la capacité réflexive

L’activité réflexive d’une personne consiste à prendre conscience de son action, de celle des autres, de leurs interactions, des conditions dans lesquelles elle agit et des conséquences qui en résultent. En général comme en thérapie, la personne doit prendre du recul pour examiner tout cela.

La personne apprend ainsi à reconnaître les capacités et les difficultés qui lui appartiennent ainsi que les caractéristiques de l’environnement qui habilitent ou contraignent son action. Elle apprend aussi à reconnaître les meilleurs moyens pour agir et progresser dans son processus de rétablissement. En fait, cet exercice mène à une confrontation entre le discours de la personne et son action, non pas dans le but de l’invalider ou de lui montrer sa dérive par rapport à un projet énoncé mais bien pour lui permettre, d’une part, de développer son activité réflexive vis-à-vis d’elle-même et de son environnement et, d’autre part, d’explorer et d’exprimer une intentionnalité non dite. Cette activité réflexive devrait entraîner la mise en place de meilleures stratégies pour tenter de surmonter les obstacles de manière consciente et efficace.

Dans cette perspective, l’intervenant soutient et oriente la personne dans son processus d’apprentissage afin de reconnaître les conditions nécessaires au déroulement et au succès de son action. Autrement dit, il attire son attention sur les ressources et les règles à constituer ou à mobiliser en tenant compte de leur dualité. Il l’aide aussi à prendre conscience des conséquences de son action sur elle et sur les autres. De toute évidence, le développement de l’activité réflexive de la personne est à la fois, le moyen utilisé pour la faire progresser et le but recherché à moyen et long terme pour qu’elle reprenne le contrôle sur sa vie.

Donc, cette capacité réflexive se développera chez la personne TPL à travers l’examen systématique avec le thérapeute de son action, des conditions et des conséquences observées. Il faut se rappeler que la personne est dans un rapport dialectique avec son environnement et que c’est à travers ses actions et interactions que la personne construit une représentation plus large, plus subtile et nuancée du monde qui l’entoure, de même que son identité personnelle. En outre, il faut faire ressortir la dualité des choses et montrer qu’un même élément est à la fois habilitant et contraignant. La dualité est omniprésente mais la personne atteinte d’un TPL n’en a guère conscience. Elle fait ce qu’on appelle communément du clivage : tout est noir ou tout est blanc, les uns sont bons, les autres sont mauvais, on est avec elle ou contre elle. Par conséquent, la thérapie gagnera à intégrer des mises en situation qu’on pourra examiner et sur lesquelles on pourra exercer une activité réflexive.

Si l’on reprend la hiérarchisation des objectifs proposée par Linehan (1993), on peut mettre en parallèle le développement progressif de la capacité réflexive (tableau I). Ainsi, la première phase consiste à établir une relation thérapeutique stable et à aider la personne à faire des changements assurant d’abord sa sécurité physique et son bien-être, soit se maintenir en vie et maintenir la relation thérapeutique. Cet objectif de base commande d’abord le développement d’une réflexivité immédiate pour faire face au présent, à l’ici et maintenant. Il s’agit de prendre conscience des besoins fondamentaux de son corps, des actions posées pour ou à l’encontre de sa survie, des dangers et des ressources de l’environnement. Presque simultanément, il faut accroître la capacité réflexive relationnelle pour bien former et entretenir la relation entre l’aidé et l’aidant. C’est donc une phase concrète où la personne est amenée à prendre conscience et à cesser ses actions impulsives et destructrices. Pour ce faire, il est nécessaire de l’amener à s’arrêter pour reconnaître ce qui se passe et l’intéresser à apprivoiser son intentionnalité. Parallèlement, il est nécessaire d’introduire la prise en compte de la dualité des choses et l’examen des conséquences de ses actions. Durant cette phase, l’apprentissage vise, entre autres, à reconnaître l’utilisation du clivage comme mécanisme de défense et, surtout, ses impacts sur la vie, les relations et les projets. Cette étape est cruciale.

La deuxième phase, soit celle de l’exposition et de la considération des émotions liées au passé et aux événements traumatiques, représente pour la personne avec un TPL un retour sur sa vie passée. Ce regard en arrière correspond donc à une activité réflexive élargie qui dépasse le présent pour intégrer le passé. On pourrait l’appeler réflexivité historique puisqu’elle englobe toute l’histoire de la personne. À ce stade, la personne est appelée à faire des liens, à établir des corrélations entre le passé, le présent et le futur. Le passé est réexaminé à la lumière du présent, comme le présent est réinterprété avec l’éclairage du passé. Un avenir pourra maintenant être envisagé suite à l’intégration de ce passé et de ce présent.

La troisième phase, soit celle du respect de soi et des objectifs personnels, consiste pour la personne à faire une synthèse de ses apprentissages et travailler à l’atteinte d’objectifs personnels et à son accomplissement. Elle passe donc, par le développement d’une réflexivité sur l’identité, sur les projets et sur l’avenir de la personne. C’est une réflexivité qu’on peut qualifier d’identitaire puisqu’elle touche l’être en profondeur.

Finalement, la quatrième phase, soit celle de la consolidation des acquis est fondée sur une relation avec son environnement empreinte de sérénité. Elle devrait s’accompagner du développement d’une capacité à ressentir de la joie et à ressentir une satisfaction personnelle. Ce passage à un autre niveau peut être facilité par la réflexivité dite spirituelle qui s’intéresse aux questions de sens vis-à-vis de sa vie et de reconnaissance vis-à-vis de soi.

Tableau I

Le développement de la capacité réflexive au regard des étapes de traitement de Linehan

Le développement de la capacité réflexive au regard des étapes de traitement de Linehan

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En développant sa réflexivité, la personne devrait changer son discours et son rapport au monde. La figure I illustre cette possible évolution discursive reflétant un changement plus profond d’attitude.

Figure 1

Évolution du discours suivant le processus de réappropriation et intégrant l’espoir et la dualité des choses

Évolution du discours suivant le processus de réappropriation et intégrant l’espoir et la dualité des choses

(Inspiré des travaux de Farkas et Vallée, 1996)

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Cette prise en compte de la dualité des phénomènes amène donc la personne à entretenir une vision beaucoup plus intégrée, beaucoup plus nuancée de la réalité tout en lui faisant voir l’espace où elle peut agir de façon efficace et harmonieuse.

Écouter la personne et dépasser les mirages

En s’appuyant sur Drolet (1995), qui dit que toute expérience de sens est une manière de participer et de faire partie du monde, il est nécessaire de regarder la personne souffrant d’un TPL dans son processus, dans ce qui l’anime et qui forme, de fait, son positionnement vis-à-vis de ce monde. La personne a une histoire à raconter, une histoire qui parle de ses interactions avec l’environnement, à travers lesquelles s’est établi un positionnement relationnel. Ce cadre unique lui sert à interpréter ses expériences, à organiser sa conduite et à réaliser ses projets. Pour aider la personne atteinte d’un TPL, un accès à sa manière subjective de faire l’expérience de sa vie, c’est-à-dire à sa manière personnelle de lui donner un sens et une direction doit être dégagé.

Dans l’exploration de l’intentionnalité, l’accompagnement de la personne se fait à partir de sa réalité et de son point de vue afin de ne pas la propulser trop rapidement dans un futur indéfini et incertain qui lui causerait plus d’anxiété. Le cheminement se fait même si l’objectif n’est pas connu au départ. L’intentionnalité inconsciente de la personne se manifeste naturellement et subtilement dans son discours et dans ses actes. Il faut être à l’écoute pour la saisir, attirer l’attention de la personne sur ces éléments souvent négligés ou invalidés, lui refléter ce qui est observé et encourager son activité réflexive.

La personne n’est pas une page blanche et souvent le premier défi consiste à comprendre ce qui y est déjà inscrit et qu’elle ne voit pas ou n’ose pas reconnaître. L’erreur consiste à penser que la personne aidée n’est pas positionnée au regard de l’environnement, comme si elle n’avait pas déjà fait certains choix, pris certaines décisions. Or, au delà de l’angoisse de la personne, comment expliquer sa résistance à prendre des décisions, à s’engager dans une direction, ou à réaliser un projet qu’elle a pourtant énoncé verbalement, sinon qu’en admettant qu’elle est probablement mobilisée ailleurs, par autre chose, d’autres personnes, d’autres valeurs, d’autres besoins qu’elle n’exprime pas directement. À défaut de projets explicites, il est vraisemblable de penser qu’elle entretient des projets potentiels qu’elle n’est pas encore parvenue à reconnaître et à formuler. C’est dans cette perspective que l’exploration de l’intentionnalité prend tout son sens, car explorer l’intentionnalité implique surtout de décrire la relation de sens avec l’environnement telle qu’elle existe, afin qu’une véritable démarche de projet puisse avoir lieu. Si nous explorons la structure intentionnelle de la personne aidée, nous découvrirons qu’elle fait quelque chose qui a un sens et une direction. Comme il a déjà été dit, la relation entre la personne et son environnement est le véritable théâtre de l’intentionnalité, et les relations interpersonnelles particulières en sont les scènes privilégiées. Dans plusieurs cas, il est souvent nécessaire de dénouer certaines relations interpersonnelles très enchevêtrées pour permettre l’émergence de projets actualisant. La voie d’accès à l’intentionnalité, c’est l’univers subjectif. C’est lui qui peut nous permettre de comprendre pourquoi une personne fait ou ne fait pas quelque chose, pourquoi elle tergiverse et ne s’engage qu’à moitié, pourquoi elle refuse, ou encore pourquoi elle s’acharne. L’action, plus que le discours, exprime l’intentionnalité (voir l’histoire de Marie). Les principes d’établissement des buts proposés par Macpherson et al. (1999) sont compatibles avec la vision du projet de vie exposé et conçu comme un enchaînement d’actions et de petits projets. Ces principes renvoient au fait que les buts doivent être choisis par la personne et être réalistes, c’est-à-dire atteignables dans l’année qui suit, que leur nombre doit être réduit au minimum et qu’ils doivent être significatifs pour la personne. En d’autres mots, c’est en s’exprimant dans des projets et dans des actions que l’on peut se réaliser (Drolet, 1995). Selon Goguelin et Krau (1992), se réaliser, c’est rendre concret ce qui était déjà présent au plus profond de soi, avant le projet et qui a pris forme à travers lui.

Soutenir l’espoir

Selon plusieurs auteurs, l’espoir s’avère même le point de départ de tout projet ou processus de guérison (Byrne et al., 1994 ; Kirkpatrick et al., 2001). L’espoir consiste en un état général de croyances et d’attitudes positives face à l’avenir (Spencer et al., 1997). Selon eux, l’espoir comporte des composantes cognitive (imagination et capacité de choisir), émotionnelle (attitude positive) et spirituelle (conviction que la vie a un sens en dépit des difficultés et des souffrances). Farkas et Vallée (1996) désignent aussi l’espoir comme une des deux catégories de facteurs influençant le processus de rétablissement. Ainsi, outre les occasions offertes à la personne de vivre une démarche de changement et de reprendre le contrôle sur sa vie, il y a le niveau d’espoir que la personne entretient par rapport à elle-même. L’espoir facilite donc le processus de rétablissement et les progrès entretiennent l’espoir. Ces considérations quant à l’espoir sont valables tant pour la personne ayant un TPL que pour le thérapeute qui l’accompagne dans ce difficile parcours. Comme le propose Cyrulnik (2001), les intervenants doivent être des tuteurs de résilience. Ils sont invités à positiver leur regard sur autrui, à modifier leur pratique, à mieux observer et utiliser les ressources propres des personnes aidées car la résilience se construit dans la relation avec l’autre.

Mobiliser les capacités de la personne

Conformément à la nécessité de reconnaître les conditions d’action pour agir plus efficacement, il importe de considérer les forces et les difficultés fonctionnelles de cette clientèle. Pour abréger leur présentation et les mettre en évidence, ces forces et ces faiblesses sont exposées ici dans un tableau (voir tableau II). Il est élaboré selon le modèle du rendement occupationnel proposé par l’Association canadienne des ergothérapeutes laquelle met en perspective la relation dynamique et interdépendante qui s’établit entre la personne, l’environnement et l’occupation (ACE, 1993). Le tableau illustre la mince frontière entre les capacités et les difficultés de la personne ayant un TPL tout en précisant la nature des difficultés. Cette manière de présenter parallèlement les forces et les faiblesses de la personne permet d’envisager la pertinence d’explorer l’intentionnalité. De plus, selon les principes de la réadaptation psychiatrique et du processus de rétablissement, il s’avère essentiel de considérer, non seulement les difficultés de la personne, mais aussi ses capacités, lesquelles s’avèrent des ressources, voire des atouts essentiels, pour changer.

Tableau II

Exemples de capacités et de difficultés fonctionnelles chez la personne TPL

Exemples de capacités et de difficultés fonctionnelles chez la personne TPL

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Ainsi, les difficultés de la personne avec un TPL doivent être vues, d’une part, comme une source d’information sur l’intentionnalité profonde et, d’autre part, comme des cibles de travail pour développer la réflexivité, la reconnaissance des conditions de l’action et la prise en compte de la dualité des choses. Les forces de la personne sont, pour leur part, des leviers extraordinaires à potentialiser afin de permettre à la personne de se mettre en action.

Conclusion

La personne souffrant d’un TPL tout comme l’intervenant qui l’accompagne sont mis en échec par l’absence de sens nécessaire à toute direction de l’action. L’idée que la solution pouvait se situer à l’intérieur de cette absence de sens et qu’il faille oeuvrer à cette construction en tout premier lieu a guidé cette réflexion. C’est dans cette perspective que les concepts de projet de vie et d’intentionnalité ont été explorés. Il en ressort qu’il faut d’abord explorer l’intentionnalité de la personne en l’écoutant même dans son non-dit et en développant sa capacité réflexive. Avec les personnes ayant un TPL, le défi c’est quasiment de les remettre au monde et pour ce faire, il semble que l’activité réflexive soit incontournable. En effet, elle mène à l’identité personnelle qui conduit à la réappropriation du pouvoir sur sa vie. Dans ce processus, l’espoir et la mobilisation des forces de la personne sont essentiels.

Article original accessible ici : https://www.erudit.org/fr/revues/smq/2004-v29-n2-smq868/010838ar/